Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/496

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Faisant un appel désespéré aux forces de mon âme, je réussis, par une énorme projection de volonté, à soulever mes pieds qui s’agrafaient au sol et qu’il me fallait déraciner comme des troncs d’arbres. Le monstre aux jambes de mandragore m’escortait en parodiant mes efforts et en chantant sur un ton de traînante psalmodie :

« Le marbre gagne ! le marbre gagne ! »

En effet, je sentais mes extrémités se pétrifier, et le marbre m’envelopper jusqu’aux hanches comme la Daphné des Tuileries ; j’étais statue jusqu’à mi-corps, ainsi que ces princes enchantés des Milles et une Nuits. Mes talons durcis résonnaient formidablement sur le plancher : j’aurais pu jouer le Commandeur dans Don Juan.

Cependant j’étais arrivé sur le palier de l’escalier, que j’essayai de descendre ; il était à demi éclairé et prenait à travers mon rêve des proportions cyclopéennes et gigantesques. Ses deux bouts noyés d’ombre me semblaient plonger dans le ciel et l’enfer, deux gouffres ; en levant la tête, j’apercevais indistinctement, dans une perspective prodigieuse, des superpositions de paliers innombrables, des rampes à gravir comme pour arriver au sommet de la tour de Lylacq ; en la baissant, je pressentais des abîmes de degrés, des tourbillons de spirales, des éblouissements de circonvolutions.

« Cet escalier doit percer la terre de part en