Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’époux de Prascovie, quoique intrépide comme un Slave, c’est tout dire, ressentit un effroi indicible à l’approche de ce Ménechme, qui, plus terrible que celui du théâtre, se mêlait à la vie positive et rendait son jumeau méconnaissable.

Une ancienne légende de famille lui revint en mémoire et augmenta encore sa terreur. Chaque fois qu’un Labinski devait mourir, il en était averti par l’apparition d’un fantôme absolument pareil à lui. Parmi les nations du Nord, voir son double, même en rêve, a toujours passé pour un présage fatal, et l’intrépide guerrier du Caucase, à l’aspect de cette vision extérieure de son moi, fut saisi d’une insurmontable horreur superstitieuse ; lui qui eût plongé son bras dans la gueule des canons prêts à tirer, il recula devant lui-même.

Octave-Labinski s’avança vers son ancienne forme, où se débattait, s’indignait et frissonnait l’âme du comte, et lui dit d’un ton de politesse hautaine et glaciale :

« Monsieur, cessez de vous compromettre avec ces valets. Monsieur le comte Labinski, si vous voulez lui parler, est visible de midi à deux heures. Madame la comtesse reçoit le jeudi les personnes qui ont eu l’honneur de lui être présentées. »

Cette phrase débitée lentement et en donnant de la valeur à chaque syllabe, le faux comte