Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/13

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chaude couleur d’ambre, des Vénus et des maîtresses de prince étendues fièrement dans leur divine nudité sous l’ombre rouge des courtines et souriant avec la satisfaction de femmes sûres d’être éternellement belles.

Le comte George y tenait extrêmement, et il aurait donné vingt salles à manger comme celle que nous venons de décrire plutôt qu’un seul de ses cadres ; dans la misère, si la misère eût pu atteindre le comte George, il aurait mis en gage le portrait de son père, la bague de sa mère, avant de vendre ses chers Titiens. C’était la seule chose qu’il possédât, dont il eût été orgueilleux.

Au milieu de cette grande salle, imaginez une grande table couverte d’une nappe damassée où le blason du comte George est tissé dans la trame avec la couronne et la devise de la maison ; un surtout ciselé, figurant des chasses au tigre et au crocodile par des Indiens montés sur des éléphants, occupe le milieu ; des assiettes du Japon et de vieux sèvres, des verres de toutes formes, des couteaux de vermeil et tout l’attirail nécessaire à manger et à boire délicatement et longtemps, remplissent le reste de l’espace. Placés autour de cette table, quatre anges damnés, Musidora, Arabelle, Phébé et Cinthie, délicieuses filles paternellement dressées par le grand George lui-même, et nommées les incomparables ; le tout entremêlé de six jeunes gens dont aucun n’était vieux, contre l’usage habituel, et dont les visages,