Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/14

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lisses et reposés, exprimaient l’indolente sécurité et l’aplomb praticien de gens qui ont deux ou trois cent mille livres de rentes et les plus beaux noms de France.

George, en qualité de maître de la maison, se prélasse sur un grand fauteuil de cuir de Cordoue ; les autres ont des chaises plus petites, de la forme dite aujourd’hui mazarine, en ébène et revêtues de lampas cerise et blanc d’une exquise rareté.

Le service est fait par de petits nègres tout nus, à l’exception d’une trousse bouffante de soie ponceau, avec des colliers de verroterie et des cercles d’or aux bras et aux jambes, comme l’on en voit dans les scènes de Paul Véronèse. Ces négrillons circulent autour de la table avec une agilité de singe et versent aux convives les vins les plus précieux de France, de Hongrie, d’Espagne et d’Italie, contenus non dans d’ignobles bouteilles de verre, mais dans de beaux vases florentins d’argent ou de vermeil, d’un travail admirable, et, malgré leur prestesse, ils ont peine à suffire à leur service.

Pour rehausser cette élégance et ce luxe tout royal, faites tomber sur ces cristaux, ces bronzes, ces dorures, une neige de lumière d’une si vive blancheur que le moindre détail s’illumine et flamboie étrangement, un torrent de clarté mate qui ne laisse à l’ombre d’autre place que le dessous de la table, une atmosphère éblouissante traver-