Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aperçus de lui-même s’il les eût rencontrés dans la rue ou dans le monde ; en un mot, s’il eût été peintre, il aurait fait des vignettes sur les vers des poètes ; s’il eût été poète, il eût fait des vers sur les tableaux des peintres. L’art s’était emparé de lui trop jeune et l’avait corrompu et faussé ; ces caractères-là sont plus communs que l’on ne pense dans notre extrême civilisation, où l’on est plus souvent en contact avec les œuvres des hommes qu’avec celles de la nature.

Un instant Tiburce eut l’idée de transiger avec lui-même, et se dit cette phrase lâche et malsonnante : « C’est une jolie couleur de cheveux que la couleur châtain. » Il alla même, le sycophante, le misérable, l’homme de peu de foi, jusqu’à s’avouer que les yeux noirs étaient fort vifs et très agréables. Il est vrai de dire, pour l’excuser, qu’il avait battu en tous sens, et cela sans le moindre résultat, une ville que tout autorisait à croire essentiellement blonde. Un peu de découragement lui était bien permis.

Au moment où il prononçait intérieurement ce blasphème, un charmant regard bleu, enveloppé d’une mantille, scintilla devant lui et disparut comme un feu follet par l’angle de la place de Meïr.

Tiburce doubla le pas, mais il ne vit plus rien ; la rue était déserte dans toute sa longueur. Sans doute, la fugitive vision était entrée dans une des