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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/245

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robe, aussitôt disparu ; la chimère capricieuse et farouche, toujours prête à déployer ses ailes inquiètes, était là devant lui, ne fuyant plus, immobile dans la gloire de sa beauté. Le grand maître avait copié dans son propre cœur la maîtresse pressentie et souhaitée ; il lui semblait avoir peint lui-même le tableau ; la main du génie avait dessiné fermement et à grands traits ce qui n’était qu’ébauché confusément chez lui, et vêtu de couleurs splendides son obscure fantaisie d’inconnu. Il reconnaissait cette tête, qu’il n’avait pourtant jamais vue.

Il resta là, muet, absorbé, insensible, comme un homme tombé en catalepsie, sans remuer les paupières et plongeant les yeux dans le regard infini de la grande repentante.

Un pied du Christ, blanc d’une blancheur exsangue, pur et mat comme une hostie, flottait avec toute la mollesse inerte de la mort sur la blonde épaule de la sainte, escabeau d’ivoire placé là par le maître sublime pour descendre le divin cadavre de l’arbre de rédemption. – Tiburce se sentit jaloux du Christ. – Pour un pareil bonheur, il eût volontiers enduré la passion. – La pâleur bleuâtre des chairs le rassurait à peine. Il fut aussi profondément blessé que la Madeleine ne détournât pas vers lui son œil onctueux et lustré, où le jour mettait ses diamants et la douleur ses perles ; la persistance douloureuse et passionnée de ce regard qui enveloppait le corps