Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/247

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de la longue contemplation de Tiburce, avait poussé les volets et lui demandait la rétribution habituelle. Tiburce lui donna tout ce qu’il avait dans sa poche ; les amants sont généreux avec les duègnes ; — le bedeau anversois était la duègne de la Madeleine, et Tiburce, pensant déjà à une autre entrevue, avait à cœur de se le rendre favorable.

Le Saint Christophe colossal et l’Ermite portant une lanterne, peints sur l’extérieur des panneaux, morceaux cependant fort remarquables, furent loin de consoler Tiburce de la fermeture de cet éblouissant tabernacle, où le génie de Rubens étincelle comme un ostensoir chargé de pierreries.

Il sortit de l’église emportant dans son cœur la flèche barbelée de l’amour impossible : il avait enfin rencontré la passion qu’il cherchait, mais il était puni par où il avait péché : il avait trop aimé la peinture, il était condamné à aimer un tableau. La nature délaissée pour l’art se vengeait d’une façon cruelle ; l’amant le plus timide auprès de la femme la plus vertueuse garde toujours dans un coin de son cœur une furtive espérance : pour Tiburce, il était sûr de la résistance de sa maîtresse et savait parfaitement qu’il ne serait jamais heureux ; aussi sa passion était-elle une vraie passion, une passion extravagante, insensée et capable de tout ; — elle brillait surtout par le désintéressement.