Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/268

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volumes in-octavo plus ou moins vraisemblables. — Était-ce un sylphe, un pur esprit, un ange amoureux, un beau capitaine, un fils de banquier, un jeune lord, pair d’Angleterre et possesseur d’un million de rente ; un boyard russe avec un nom en off, beaucoup de roubles et une multitude de collets de fourrure ? Telles étaient les graves questions que cette lettre d’une éloquence si laconique allait immanquablement soulever. — Le tutoiement, qui ne s’adresse qu’à la Divinité, montrait une violence de passion que Tiburce était loin d’éprouver, mais qui pouvait produire le meilleur effet sur l’esprit de la jeune fille, — l’exagération paraissant toujours plus naturelle aux femmes que la vérité.

Gretchen n’hésita pas un instant à croire le jeune homme de la place de Meïr auteur du billet : les femmes ne se trompent point en pareille matière, elles ont un instinct, un flair merveilleux, qui supplée à l’usage du monde et à la connaissance des passions. La plus sage en sait plus long que don Juan avec sa liste.

Nous avons peint notre héroïne comme une jeune fille très naïve, très ignorante et très honnête : nous devons pourtant avouer qu’elle ne ressentit point l’indignation vertueuse que doit éprouver une femme qui reçoit un billet écrit en deux langues, et contenant une aussi formelle incongruité. — Elle sentit plutôt un mouvement de plaisir, et un léger nuage rose passa sur sa