Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/28

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cent mille livres de rentes, s’est brûlé la cervelle pour moi, fit dédaigneusement la Musidora.

― Oui, mais tu te jetteras par-dessus le pont pour Fortunio, avec ta plus belle robe et un chapeau tout neuf.

― C’est donc un démon, votre Fortunio ? N’importe, je parie le rendre amoureux de moi à en perdre la tête, et cela avant six semaines.

― Si ce n’est qu’un démon, ce serait peu de chose, et tu en viendrais aisément à bout ; tromper le diable n’est qu’un jeu pour une femme.

― C’est donc un ange !

― Pas davantage ; au surplus tu vas juger toi-même, car on vient d’ouvrir la porte de l’hôtel, et j’entends le bruit d’une voiture dans la cour. Ce ne peut être que lui. Je parie mon attelage de chevaux gris pommelé contre une de tes papillotes que tu ne trouves pas une petite porte grande comme un trou de souris pour te glisser dans le cœur de Fortunio.

― J’irai donc à Longchamp dans une calèche attelée à la d’Aumont, dit la petite en frappant joyeusement dans les mains.

― Monsieur Fortunio ! » cria, d’une voix glapissante qui domina un moment le bruit des conversations et le cliquetis de la vaisselle, un grand mulâtre bizarrement vêtu.

Toutes les têtes se tournèrent subitement de ce côté, les fourchettes qui étaient en l’air n’achevèrent pas leur chemin : le repas fut suspendu.