Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/532

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pris d’éblouissements et de vertige, comme quelqu’un qui se penche sur l’abîme ou fixe ses yeux sur le soleil ; il éprouva une espèce de délire de possession, comme un prêtre ivre du dieu qui le remplit. Toute autre pensée disparut de son âme, et l’univers ne lui apparut plus que comme un brouillard vague où rayonnait le fantôme étincelant de Nyssia. Son bonheur tournait à l’extase, et son amour à la folie. Parfois sa félicité l’effrayait. N’être qu’un misérable roi, que le descendant lointain d’un héros devenu dieu à force de fatigues, qu’un homme vulgaire fait de chair et d’os, et, sans avoir rien fait pour le mériter, sans même avoir, comme son aïeul, étouffé quelque hydre et déchiré quelque lion, jouir d’un bonheur dont Zeus, à la chevelure ambrosienne, serait à peine digne, tout maître de l’Olympe qu’il est ! Il avait, en quelque sorte, honte d’accaparer un si riche trésor pour lui seul, de faire au monde le vol de cette merveille, et d’être le dragon écaillé et griffu qui gardait le type vivant de l’idéal des amoureux, des sculpteurs et des poètes. ― Tout ce qu’ils avaient rêvé dans leurs aspirations, leurs mélancolies et leurs désespoirs, il le possédait, lui, Candaule, pauvre tyran de Sardes, ayant à peine quelques misérables coffres pleins de perles, quelques citernes remplies de pièces d’or et trente ou quarante mille esclaves achetés ou enlevés à la guerre !