Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours sur le chemin de Nyssia. ― Un hasard lui avait fait connaître sa beauté murée à tous les yeux ; entre tant de princes et de satrapes elle avait épousé précisément Candaule, le roi qu’il servait, et, par un caprice étrange qu’il ne pouvait s’empêcher de trouver presque fatal, ce roi venait faire, à lui Gygès, des confidences sur cette créature mystérieuse que personne n’approchait, et voulait absolument achever l’ouvrage de Borée dans la plaine de Bactres. La main des dieux n’était-elle pas visible dans toutes ces circonstances ? ― Ce spectre de beauté, dont le voile se soulevait peu à peu comme pour l’enflammer, ne le conduisait-il pas sans qu’il s’en doutât vers l’accomplissement de quelque grand destin ? ― Telles étaient les questions que se posait Gygès ; mais, ne pouvant percer l’avenir obscur, il résolut d’attendre les événements et sortit de la cour des portraits, où l’ombre commençait à s’entasser dans les angles et à rendre de plus en plus bizarres et menaçantes les effigies des ancêtres de Candaule.

Était-ce un simple jeu de lumière ou une illusion produite par cette inquiétude vague que cause aux cœurs les plus fermes l’arrivée de la nuit dans les monuments antiques ? Gygès, au moment de dépasser le seuil, crut avoir entendu de sourds gémissements sortir des lèvres de pierre du bas-relief, et il lui sembla qu’Héraclès faisait d’énormes efforts pour dégager sa massue de granit.