Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/553

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mes côtés ; c’est ce moment qu’il faut saisir pour l’esquiver : car, dans le trajet du fauteuil au lit, elle tourne le dos à la porte. Suspends tes pas comme si tu marchais sur la pointe des blés mûrs, prends garde qu’un grain de sable ne crie sous ta sandale, retiens ton haleine et retire-toi le plus légèrement possible. ― Le vestibule est baigné d’ombre, et les faibles rayons de la seule lampe qui reste allumée ne dépassent pas le seuil de la chambre. Il est donc certain que Nyssia ne pourra t’apercevoir, et demain il y aura quelqu’un dans le monde qui comprendra mes extases et ne s’étonnera plus de mes emportements admiratifs. Mais voici le jour qui baisse ; le soleil va bientôt faire boire ses coursiers dans les flots Hespériens, à l’extrémité du monde, au-delà des colonnes posées par mon ancêtre ; rentre dans ta cachette, Gygès, et bien que les heures de l’attente soient longues, j’en jure Éros aux flèches d’or, tu ne regretteras pas d’avoir attendu ! »

Après cette assurance, Candaule quitta Gygès, tapi de nouveau derrière la porte. L’inaction forcée où se trouvait le jeune confident du roi laissait un libre cours à ses pensées. Certes, la situation était des plus bizarres. Il aimait Nyssia comme on aime une étoile, sans espoir de retour ; convaincu de l’inutilité de toute tentative, il n’avait fait aucun effort pour se rapprocher d’elle. Et cependant, par un concours de circonstances extraordinaires, il allait connaître des