Aller au contenu

Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mots d’Eginhard : In quo prœlio Hruodlandus, limitis Britannici prœfectus, interficitur. Ô petits commencements d’une grande chose !


III. – La Légende


Dès le lendemain de la catastrophe de Roncevaux, la Légende, – cette infatigable travailleuse et qui ne reste jamais les bras croisés, – se mit à travailler sur ce fait profondément épique. Et nous allons assister d’un œil curieux à ce long et multiple labeur.

Elle commença tout d’abord par exagérer les proportions de la défaite. Le souvenir de la grande invasion des Sarrasins en 792 et des deux révoltes des Gascons en 812 et 824 se mêlèrent vaguement, dans la mémoire du peuple, aux souvenirs de Roncevaux et accrurent l’importance du combat, déjà célèbre, où Roland avait succombé.

En second lieu, la Légende établit des rapports de parenté entre Charlemagne et ce Roland, dont elle fit décidément le centre de tout ce récit et le héros de tout ce drame.

Faisant alors un nouvel effort d’imagination, elle supposa que les Français avaient été trahis par un des leurs, et inventa un traître auquel fut un jour attaché le nom de Ganelon.

Ensuite elle perdit de vue les véritables vainqueurs, qui étaient les Gascons, pour mettre uniquement cette victoire sur le compte des Sarrasins, qui étaient peu à peu devenus les plus grands ennemis du nom chrétien.

Et enfin, ne pouvant s’imaginer qu’un tel crime fût demeuré impuni, la Légende raconta tour à tour les représailles de Charles contre les Sarrasins et contre Ganelon. Car, dans toute Épopée comme dans tout drame, il faut, de toute nécessité, que l’Innocence soit récompensée et le Vice puni.

Tels sont les cinq premiers travaux de la Légende.

Mais il en est encore deux autres que nous ne saurions passer sous silence. Dès la fin du IXe siècle, les mœurs et les idées féodales s’introduisirent fort naturellement dans notre récit légendaire, dont elles changèrent peu à peu la physionomie primitive.