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Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/428

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Bodel, dernières années du XIIe siècle, couplets v-xii.) Donc, la guerre commence ; mais tout semble conspirer contre Charles : la discorde éclate parmi ses peuples. Les Hérupois, c’est-à-dire les Normands, les Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux, jouissent de certains privilèges que les autres sujets de l’Empereur leur envient. De là une sorte de révolte qu’il ne sera pas facile d’apaiser. Charles voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs privilèges aux Hérupois ; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l’Empereur pousse la bassesse jusqu’à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s’arrange. (Couplets XIII-XLVII.) C’est en ce moment seulement que Charles peut entrer en campagne contre les Saisnes. Et c’est ici qu’apparaît un frère de Roland, Baudouin, qui se prend soudain d’un amour ardent pour la femme de Guiteclin, Sibille, et qui pour elle s’expose mille fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les Hérupois daignent enfin consentir à venir au secours de Charlemagne, et remportent tout d’abord une éclatante victoire sur les Saisnes. (Couplets xc-cxix.) Cependant l’amour adultère de Baudouin pour Sibille ne fait que s’enflammer au milieu de tant de batailles sanglantes. C’est pour Sibille qu’il livre un combat terrible au païen justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un gué sur le Rhin, et l’Empereur fait construire un pont par les Thiois. Derrière ce pont sont deux cent mille Saxons, avec le roi Guiteclin. (Couplets CXX-CLVII.) Une nouvelle bataille éclate, et jamais il n’y en eut d’aussi terrible. Mais enfin les Français sont vainqueurs, et Guiteclin meurt. (Couplets CLVIII-CLXVII.) Sibille se console trop aisément de cette mort, et s’empresse trop rapidement d’épouser son ami Baudouin, dont Charlemagne fait un roi des Saxons, et qui s’installe à Trémoigne. (Couplets CXCVIII-CCX.) Ce règne ne doit pas être de longue durée : toujours les Saisnes se révoltent, toujours ils menacent Baudouin. C’est en vain que Charles arrive au secours du jeune roi : Baudouin, après des prodiges de bravoure, se trouve seul au milieu de l’armée païenne, et meurt. Charles le pleure, Charles le venge : les Saxons sont une dernière fois vaincus et soumis. Ils ne se révolteront plus, (CCXI-CCXCVII[1].) = Dans

  1. Il a existé un poème français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous n’en avons plus l’original ; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins conservé un résumé... La scène s’ouvre sous les murs de Nobles, assiégée par Charles. Tout à coup l’Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler Cologne. Il court au-devant des Saisnes ; mais il se laisse enfermer dans Cologne et va succomber, lorsqu’il est secouru par Roland. Guitalin remporte un premier avantage sur les Français ; mais ceux-ci reprennent l’offensive et s’emparent de Germaise (Worms). C’est alors qu’Amidan vient au secours de son père Guitalin. Mais Charles fait construire un pont sur le Rhin, et voilà les Saisnes menacés. Ici apparaît Baudouin, qui va devenir le principal personnage de notre poème ; ici se place également le trop long épisode de ses amours avec Sibille. Une action décisive s’engage : Guitalin est terrassé par Charles, et Amidan tué par Roland, qui conquiert alors le fameux cor Olifant. La victoire des Français est complète, et tout se termine par un baptême général des païens. Tel est le Guitalin de la Karlamagnus Saga (5e branche), dont l’action, comme on le voit, se passe avant celle du Roland. (Cf. le résumé qu’on en trouve dans la 1re branche.) = Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent en deux groupes distincts, suivant qu’elles se rapportent au Guitalin que nous venons de résumer, ou à la chanson de Jean Bodel,1