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LES FEMMES.

nière évasive, ou se fâchera tout rouge et vous évitera par la suite ; la civilisation, sous ce rapport, n’a pas fait un pas. Les seuls moyens à employer, c’est de prier quelque dame européenne bien recommandée et admise en visite dans un harem, de vous raconter fidèlement ce qu’elle aura vu. Pour un homme, il doit renoncer à connaître autre chose de la beauté turque que le domino ou ce qu’il aura pu saisir par surprise sous la bâche des arabas, derrière la fenêtre des talikas, à l’ombre des cyprès dans le cimetière, lorsque la chaleur et la solitude conseillent d’écarter un peu le voile.

Encore, si l’on approche trop et qu’il y ait par là quelque Turc, on s’attire des compliments de ce goût : « Chien de chrétien ! mécréant ! giaour ! que les oiseaux du ciel te souillent le menton, que la peste habite chez toi ! Que ta femme reste stérile ! » Malédiction biblique et musulmane de la plus grande gravité. Cependant cette colère est plutôt feinte que réelle, et se joue principalement pour la galerie. — Une femme, même turque, n’est jamais fâchée qu’on la regarde, et le secret de sa beauté lui pèse toujours un peu.

Aux eaux douces d’Asie, en me tenant immobile contre un arbre ou adossé à la fontaine comme quelqu’un qui s’endort dans quelque vague rêverie, j’ai pu voir plus d’un charmant profil qu’estompait à peine une vapeur de gaze, plus d’une gorge pure et blanche comme un marbre de Paros s’arrondissant sous le pli d’un feredgé entr’ouvert, tandis que l’eunuque se promenait à quelques pas ou regardait passer les bateaux à vapeur sur le Bosphore, rassuré par mon air distrait et morne.

D’ailleurs, les Turcs n’en voient pas plus que les giaours ; ils ne pénètrent jamais au delà du Selamlick, dans la maison de leurs plus intimes amis, et ils ne connaissent que leurs propres femmes. — Quand un harem en visite un autre, les