Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
LES MURAILLES DE CONSTANTINOPLE.

prise de Constantinople, Mahomet II, triomphant, poussait son cheval dans Sainte-Sophie, et marquait sa main sanglante sur la muraille du sanctuaire, la croix tombait du haut des dômes pour faire place au croissant, et l’on retirait de dessous un tas de morts l’empereur Constantin, sanglant, mutilé, et reconnaissable seulement aux aigles d’or qui agrafaient ses cothurnes de pourpre.

J’ai parlé tout à l’heure du caloyer occupé à faire frire des poissons pendant l’assaut suprême donné à Constantinople, et qui répondit incrédulement à l’annonce du triomphe des Turcs : « Bah ! je croirai plutôt que ces poissons vont ressusciter, sortir de l’huile bouillante et nager sur le plancher. » Prodige qui eut lieu effectivement et dut convaincre l’obstiné moine.

La descendance de ces poissons miraculeux frétille dans la citerne de l’église grecque ruinée de Baloukli, qu’on aperçoit à quelque distance des remparts de la ville, un peu avant d’arriver à Silivri-Kapoussi. Ils sont rouges d’un côté et bruns de l’autre, en mémoire du tour de poêle qu’avaient supporté leurs aïeux à moitié cuits ; un pauvre diable de prêtre les montre encore aux étrangers en disant : Idos psari, effendi. (Regardez les poissons, monsieur.) Quoique je ne professe pas des opinions voltairiennes à l’endroit des miracles, je ne jugeai pas à propos d’aller vérifier celui-ci par moi-même, d’autant plus que c’était un miracle schismatique auquel je n’étais pas obligé de croire ; je me contentai donc de la légende et je continuai ma route.

Quel dommage que mon ami le grand paysagiste Bellel n’ait pas fait le voyage de Constantinople ! Quel parti il eût tiré de ces superbes mouvements de terrain, de ces grands cyprès, de ces pans de murailles chancelantes soutenus par des végétations robustes ! Comme son fusain ferme et magistral eût découpé les fouilles de ces platanes, de ces arbousiers,