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LES INCENDIES.

Je suivis jusqu’à la Corne-d’Or, tout près de l’Arsenal, le chemin tracé par l’incendie. Il faisait une chaleur horrible, augmentée encore par les émanations d’un sol calciné, chaud de la flamme à peine éteinte ; je marchais sur des charbons recouverts par une cendre perfide, à travers des débris à demi consumés : planches, poutres, solives, fragments de divans et de bahuts ; tantôt sur des places grises, tantôt sur des places noires, à travers des fumées rousses et des réverbérations de soleil à cuire un œuf, puis je revins par une ruelle assez pittoresque, le long d’un ruisseau encombré de savates et de fragments de poterie qui fournirait, avec ses deux ponts branlants, de jolis motifs d’aquarelle à Williams Wyld ou à Tesson.

J’avais vu l’incendie de jour ; il ne me manquait plus que l’incendie de nuit. Ce spectacle ne se fit pas attendre ; un soir, une lueur pourprée, que je ne saurais mieux comparer qu’aux rougeurs de l’aurore boréale, teignit le ciel de l’autre côté de la Corne-d’Or ; je prenais une glace sur la promenade du petit Champ, et je descendis immédiatement pour fréter un caïque et me transporter au lieu du sinistre, lorsqu’en passant près de la tour de Galata, un de mes amis de Constantinople, qui m’accompagnait, eut l’idée de monter à la tour d’où l’on découvre en effet la rive opposée du port ; un bacchich eut bientôt levé les scrupules du gardien, et nous commençâmes à grimper dans l’obscurité, tâtant le mur des mains, essayant chaque marche du pied, par un escalier assez difficile, aux spirales interrompues de paliers et de portes. Nous arrivâmes ainsi jusqu’à la lanterne, et, marchant sur les lames de cuivre qui revêtent le sol, nous allâmes nous appuyer au rebord de maçonnerie dont la tour est couronnée.

C’était le magasin des huiles et des suifs qui brûlait. Ces bâtiments sont situés au bord de l’eau, qui, en reflétant les