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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/110

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CONSTANTINOPLE.

s’asseoir sur le divan des cafés auprès du Turc le plus somptueusement vêtu sans que celui-ci se recule pour éviter à sa manche brodée d’or le contact d’une loque effilochée et graisseuse, cependant certaines classes ont leurs lieux de réception habituels, et le café à la fontaine de marbre, situé entre Seraï-Bournou et la mosquée de Yeni-Djami, dans en des plus beaux quartiers de Constantinople, est un des mieux hantés de la ville.

Un détail charmant et tout oriental poétise ce café aux yeux d’un Européen.

Des hirondelles ont maçonné leur nid à la voûte, et, comme la devanture est toujours ouverte, elles entrent et sortent d’un rapide coup d’aile, en poussant de petits cris joyeux et en apportant des moucherons à leurs petits, sans s’effrayer autrement de la fumée des pipes et de la présence des consommateurs, dont leurs pennes brunes effleurent quelquefois le fez ou le turban. Les oisillons, la tête passée hors de l’ouverture du nid, regardent tranquillement de leurs yeux, semblables à de petits clous noirs, les pratiques qui vont et viennent, et s’endorment au ronflement de l’eau dans les carafes des narghiléhs.

C’est un spectacle touchant que cette confiance de l’oiseau dans l’homme et que ce nid dans ce café ; les Orientaux, souvent cruels pour les hommes, sont très-doux pour les animaux et savent s’en faire aimer ; aussi, les bêtes viennent-elles volontiers à eux. Ils ne les inquiètent pas, comme les Européens, par leur turbulence, leurs éclats de voix et leurs rires perpétuels. — Les peuples réglés par la loi du fatalisme ont quelque chose de la passivité sereine de l’animal.

Près du Tekké ou monastère des derviches tourneurs à Péra, en face d’un cimetière annexe ou prolongement du Petit-Champ-des-Morts, il y a un café fréquenté principalement par les Francs et les Arméniens. C’est une grande