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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/109

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CAFÉS.

nagent à côté des bateaux à vapeur, et les héros du Schah-Nameh y brandissent leurs haches d’armes au-dessus des grognards de l’Empire.

C’est un vrai plaisir de prendre là une de ces petites tasses de café trouble qu’un jeune drôle aux grands yeux noirs vous apporte sur le bout des doigts dans un grand coquetier de filigrane d’argent ou de cuivre découpé à jour, après une longue course dans les rues si fatigantes de Constantinople, et cela vous rafraîchit plus que toutes les boissons glacées ; à la tasse de café est joint un verre d’eau, que les Turcs boivent avant et les Francs après. On raconte même à ce sujet une anecdote assez caractéristique. Un Européen, qui parlait parfaitement bien les langues de l’Orient, portait le costume musulman avec l’aisance que donne une longue habitude, et dont le teint hâlé au chaud soleil du pays avait au plus haut degré la teinte locale, fut reconnu Franc dans un petit café borgne de Syrie par un pauvre Bédouin en guenilles, incapable, assurément, de reconnaître une faute dans le pur arabe du consommateur exotique. — « À quoi as-tu pu voir que j’étais Franc ? » dit l’Européen, aussi contrarié que Théophraste, appelé étranger par une marchande d’herbes, sur le marché d’Athènes, pour un accent mal placé. — « Tu as pris ton eau après ton café, » répondit le Bédouin.

Chacun apporte son tabac dans une blague, le café ne fournit que le chibouck, dont le bouquin d’ambre ne peut contracter de souillure, et le narghiléh, appareil assez compliqué qu’il serait difficile de charrier avec soi. Le prix de la tasse de café est de vingt paras (à peu près deux sous et demi) ; si vous donnez une piastre (quatre sous et demi), vous êtes un magnifique seigneur. L’argent se dépose dans un coffre percé d’une ouverture, comme une tirelire, et placé près de la porte.

Quoique en Turquie le premier gueux en haillons aille