Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
CONSTANTINOPLE.

carrés aux larges dents, tout l’arsenal de la coquetterie turque ; devant ces boutiques stationnent de nombreux groupes de femmes que leurs feredgés vert-pomme, rose-mauve ou bleu-de-ciel, leurs yachmaks opaques et soigneusement fermés, leurs bottines de maroquin jaune chaussées d’une galoche de même couleur, signent musulmanes en toutes lettres ; souvent elles tiennent à la main de beaux enfants habillés de vestes rouges ou vertes, passementées d’or, de pantalons à la mameluk en taffetas cerise, jonquille ou de toute autre couleur vive, qui brillent comme des fleurs dans l’ombre fraîche et transparente ; des négresses, enveloppées de l’habbarah à quadrilles bleus et blancs du Caire, se tiennent derrière elles et complètent l’effet pittoresque. Quelquefois aussi un eunuque noir, reconnaissable à son buste court, à ses longues jambes, à sa tête imberbe, grasse et flasque, enfoncée dans les épaules, surveille d’un air morose la petite troupe confiée à ses soins, et agite, pour faire ouvrir la foule, le courbach de cuir d’hippopotame, marque distinctive de son autorité. Le marchand, appuyé sur le coude, répond d’un air flegmatique aux mille questions des jeunes femmes qui fourragent les marchandises et mettent son étalage sens dessus dessous, questionnant à tort et à travers, demandant les prix et se récriant avec de petits éclats de rires incrédules.

Derrière ces étalages, il y a des arrière-boutiques auxquelles on monte par deux ou trois degrés, et où des objets plus précieux sont serrés dans des coffres et des armoires qui ne s’ouvrent que pour les acheteurs sérieux. Là se trouvent les belles écharpes rayées de Tunis, les tapis et les châles de Perse, dont la broderie imite à s’y tromper les palmes du cachemire, les miroirs de nacre de perle et de burgau, les tabourets incrustés et découpés pour poser les plateaux de sorbets, les pupitres à lire le Coran, les brûle-