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XII

LES DERVICHES HURLEURS


Quand on a vu les derviches tourneurs de Péra, on doit une visite aux derviches hurleurs de Scutari ; aussi je pris un caïque à Top’Hané, et deux paires de rames, maniées par de vigoureux Arnautes, m’emportèrent vers la rive d’Asie, malgré la violence du courant. Les eaux bouillonnantes se brisaient sous le soleil en millions de paillettes d’argent, rasées par des essaims d’oiseaux blancs et noirs, désignés sous le nom poétique d’âmes en peine, à cause de leur inquiétude perpétuelle ; on les voit filer sur le Bosphore par vols de deux ou trois cents, les pattes dans l’eau, les ailes dans l’air, avec une rapidité extraordinaire, comme s’ils poursuivaient une proie invisible, ce qui a les fait appeler aussi chasse-vent. — J’ignore leur étiquette ornithologique, mais ces deux sobriquets populaires me suffisent abondamment. Quand ils passent près des barques, on dirait des feuilles sèches emportées par un tourbillon d’automne, et ils éveillent toutes sortes d’idées rêveuses et mélancoliques.