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CONSTANTINOPLE.

Le débarcadère de Scutari se présente sous l’aspect le plus pittoresque. Une sorte de plancher flottant, composé de grosses poutres où se posent les goëlands et les albatros, forme un de ces premiers plans dont les graveurs anglais savent tirer si bon parti : un café, entouré de bancs peuplés de fumeurs, s’avance dans l’eau sur un petit môle côtoyé de felouques, de caïques, de canots et d’embarcations de tout genre, à l’ancre ou amarrés ; des figuiers et autres végétations d’un vert vivace ombragent un petit jardin attenant au café, qu’ils font ressortir par leurs tons vigoureux.

Les murailles blanches de la mosquée de Buyuk-Djami apparaissent au second plan. Cette mosquée produit un très-bon effet, avec sa coupole, son minaret, ses terrasses mamelonnées de petits dômes de plomb, ses arcades arabes, ses escaliers sur lesquels dorment des soldats et des hammals et ses masses de maçonnerie entremêlées de touffes de verdure.

Une fontaine toute bordée d’arabesques, de rinceaux et de fleurs, toute bariolée d’inscriptions turques sculptées en relief dans le marbre, surmontée d’un de ces charmants toits en auvent dont le bon goût moderne a décoiffé la fontaine de Top’Hané, occupe gracieusement le centre de la petite place en forme de quai à laquelle aboutit la principale rue de Scutari.

Au pied de cette fontaine, dont les robinets taris ne versent plus d’eau, s’abritent des essaims de femmes en feredgés blancs, roses, verts ou lilas, assises, debout, accroupies dans des poses d’une gracieuse nonchalance, berçant de beaux enfants entre leurs bras, et surveillant les jeux des plus grands d’un long regard de leur œil noir.

Des loueurs de chevaux avec leurs bêtes, des saïs tenant en bride les montures de leurs maîtres, des talikas, espèces de fiacres turcs, des arabas à la vieille mode, attelés de buf-