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EN MER.

bliée. Cet exemple de décoration intelligente devrait bien être suivi à Paris, où l’on abuse un peu trop du luxe bête des glaces, des dorures et des étoffes.

Vous avez lu sans doute les spirituelles plaisanteries de Méry sur l’altération de Marseille et la tristesse des fontaines, qui, à force d’architecture, tâchaient de faire oublier qu’elles manquaient d’eau. Les travaux de détournement de la Durance sont achevés, et chaque bastide s’enorgueillit aujourd’hui d’un bassin et d’un jet d’eau. Il en est qui poussent la fatuité jusqu’à la cascade. Marseille va être entourée bientôt d’une foule de Versailles, de Marly et de Saint-Cloud en miniature ; avant peu, j’en ai bien peur, ces magnifiques terrains calcinés de lumière, ces beaux rochers couleur de liége et de pain grillé seront revêtus de végétation, et le vert-épinard, joie des propriétaires, terreur des paysagistes, fera disparaître cette étincelante aridité.

L’ancre est levée ; les roues frappent l’eau ; nous voilà sortis du port ; on longe des côtes escarpées, décharnées, effritées, pareilles à celles de l’autre côté de la Méditerranée. Je ne sais pas si on l’a remarqué, Marseille et ses environs sont beaucoup plus méridionaux que leur latitude ne semble le comporter. Vous avez là des aspects africains d’une âpreté aussi chaude qu’en Algérie, et la physionomie du Midi s’y dessine d’une façon très-violente. Des contrées situées deux ou trois cents lieues plus au sud ont souvent l’air plus septentrional : ces roches ravinées, dont la base plonge dans une mer du bleu le plus foncé, s’ouvrent quelquefois et laissent apercevoir une ville lointaine, entourée de ses bastides qui tachètent la campagne de leurs mille points blancs.

L’on rencontre çà et là quelques navires aux voiles gonflées, se dirigeant vers le port où ils espèrent arriver avant la nuit ; puis la solitude se fait, les côtes disparaissent dans l’éloignement, la houle du large se fait sentir ; on ne voit