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CONSTANTINOPLE.

cet arbre ami des tombeaux, mais qui n’éveille en Orient aucune pensée mélancolique et orne les jardins aussi bien que les cimetières.

Avec l’âge, le tronc du cyprès se divise en nervures rugueuses semblables aux agrégations de colonnettes gothiques des cathédrales ; son écorce effritée s’argente de nuances grises, ses branches s’insèrent d’une façon inattendue, et font des coudes curieusement difformes, sans détruire cependant le dessin pyramidal et la direction ascensionnelle du feuillage, massé tantôt par groupes épais, tantôt par touffes clair-semées. Ses racines tortueuses et déchaussées agrippent la terre au rebord des routes, comme des serres de vautour posé sur une proie, et quelquefois ressemblent à des serpents à moitié rentré dans leur trou.

Sa verdure solide et sombre ne se décolore pas aux âpres feux du soleil et garde toujours assez de vigueur pour trancher sur le bleu intense du ciel. — Nul arbre n’a l’attitude plus majestueuse, plus grave et plus sérieuse en même temps. Son uniformité apparente se varie d’accidents appréciés du peintre, mais qui ne dérangent pas l’ordonnance générale. Il s’associe admirablement à l’architecture des villas italiennes et mêle à propos sa pointe noire aux colonnes blanches des minarets ; ses draperies brunes forment au sommet des collines un fond sur lequel se détachent les maisons de bois colorié des villes turques par touches vermeilles et papillotantes.

J’avais déjà pris en Espagne, dans le géneralife et l’Alhambra, un amour du cyprès que mon séjour à Constantinople n’a fait qu’augmenter en le satisfaisant. Deux cyprès surtout ont ineffaçablement gravé leur silhouette dans ma mémoire, et le nom de Grenade ne peut être prononcé sans que je les voie jaillir aussitôt au-dessus des murailles rouges de l’ancien palais des rois maures, dont ils sont à coup