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EN MER.

détail. On côtoie ainsi toute la journée à distance cette Corse énergique et sauvage, aux mœurs poétiquement féroces, aux vendettes éternelles, que le progrès rendra bientôt semblable à la banlieue de Paris, à Pantin ou à Batignolles. — Ce serait peut-être ici le lieu de placer un morceau brillant sur Napoléon ; mais j’aime mieux éviter ce lieu commun facile, et je me bornerai à remarquer en passant quelle influence les îles ont eue sur la destinée de ce héros presque fabuleux déjà, et dont nous voyons se former la légende sous nos yeux : une île lui donne naissance ; tombé, il repart d’une île et meurt dans une île, tué par une île ; il sort de la mer et s’y replonge. Quel mythe l’avenir bâtira-t-il là dessus, lorsque l’histoire fugitive aura disparu pour laisser la place au poëme éternel ? Mais l’on aperçoit les sept moines, écueils formés de roches, ayant en effet l’apparence de capucins encapuchonnés et rangés à la file ; l’on approche du passage étroit qui sépare la Corse de la Sardaigne du côté de Bonifaccio.

Grèce qu’on connaît trop, Sardaigne qu’on ignore.

Un canal extrêmement étroit divise les deux îles, qui visiblement n’ont dû en faire qu’une avant les cataclysmes diluviens et les soulèvements volcaniques ; on voit très-distinctement la rive de chaque pays : ce sont des collines montagneuses assez escarpées, mais sans grand caractère ; quelques rares maisons aux murs jaunes, aux toits de tuiles, parsèment le rivage, qui sans cela semblerait celui d’une île déserte, car on n’y découvre aucune trace de culture ; deux ou trois barques à la voile latine voltigent comme des mouettes d’un bord à l’autre.

Du côté de la Sardaigne, on nous fait remarquer, ce qui est la principale curiosité de l’endroit, une agrégation bizarre de roches sur le sommet d’une colline, qui dessinent