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KARAGHEUZ.

renouvelé plusieurs fois, lorsque mon ami constantinopolitain, retenu par quelque affaire, vint me rejoindre. Nous traversâmes le cimetière, et, dans l’ombre d’un grand rideau de cyprès, nous découvrîmes une ligne de petites maisons de bois formant une espèce de rue dont un côté est composé de tombes.

À la porte d’une de ces maisons tremblotait une lueur jaunâtre venant d’une veilleuse posée dans un verre, moyen naïf d’éclairage fort usité à Constantinople. — C’était là. — Nous entrâmes après avoir jeté quelques piastres à un vieux Turc accroupi près d’un coffre qui représentait à la fois la caisse et le contrôle.

La représentation avait lieu dans un jardin planté de quelques arbres ; des tabourets bas pour les naturels, des chaises de paille pour les giaours, remplaçaient les banquettes et les stalles ; l’assistance était nombreuse ; des pipes et des narghilés s’élevaient des spirales bleuâtres qui se rejoignaient en brouillard odorant au-dessus de la tête des fumeurs, et les fourneaux des pipes, appuyés contre terre, scintillaient comme des vers luisants. Le ciel bleu de la nuit, piqué d’étoiles, servait de plafond, et la lune jouait le rôle de lustre ; des garçons couraient portant des tasses de café et des verres d’eau, accompagnement obligé de tout plaisir turc. L’on nous fit asseoir au premier rang, tout à fait en face du théâtre de Karagheuz, à côté de jeunes gaillards coiffés de tarbouchs dont les longues houppes de soie bleue descendaient jusqu’au milieu du dos comme des queues chinoises, et qui riaient bruyamment par anticipation en attendant la pièce.

Le théâtre de Karagheuz est d’une simplicité encore plus primitive que la baraque de Polichinelle : un angle de mur où l’on tend une tapisserie opaque, dans laquelle se découpe un carré de toile blanche éclairé par derrière, suffit