Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
CONSTANTINOPLE.

à l’établir ; un lampion l’illumine, un tambour de basque lui sert d’orchestre ; rien n’est moins compliqué. L’impressario se tient dans le triangle formé par l’équerre du mur et la tapisserie, entouré des figurines qu’il fait parler et mouvoir.

Le champ lumineux sur lequel devaient se projeter les silhouettes des petits acteurs brillait au milieu de l’obscurité comme un centre où convergeaient tous les regards impatients. Bientôt une ombre s’interposa entre la toile et la flamme du lampion. Une découpure transparente et coloriée vint s’appliquer contre la gaze. C’était un faisan de la Chine perché sur un arbuste ; le tambour de basque bruit et ronfla, une voix gutturale et stridente chantant une mélopée bizarre et d’un rhythme insaisissable pour des oreilles européennes s’éleva dans le silence ; car, à l’apparition de l’oiseau, le bourdonnement des conversations et la vague rumeur qui résulte d’une réunion d’hommes, même tranquilles, s’étaient subitement apaisés. C’était le lever du rideau et l’ouverture.

Le faisan s’évanouit et fit place à une espèce de décoration représentant l’extérieur d’un jardin fermé par des treillages et des grilles au-dessus desquelles verdissaient des arbres assez semblables, pour la naïveté de la forme, à ceux des joujoux de Nuremberg taillés copeau à copeau dans un bâton de sapin.

Un rauque éclat de rire se fit entendre annonçant l’entrée de Karagheuz, et une figurine grotesque, haute de six à huit pouces, vint se planter sous les murailles du jardin avec des gestes extravagants.

Karagheuz mérite une description particulière. Son masque, forcément toujours vu en silhouette, comme son état d’ombre chinoise l’exige, offre une caricature assez bien réussie du type turc. Son nez en bec de perroquet se re-