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LES FEMMES.

nous, — quoique la plaisanterie des cornes soit aussi connue à la baraque de Karagheuz qu’au Théâtre-Français, et que le mot kerata (cornard) revienne à tout propos dans les disputes comiques.

Il est vrai que les femmes turques sortent librement, vont se promener aux eaux douces d’Asie et d’Europe, défilent en voiture à Hyder-Pacha, ou sur la place du Sultan-Bayezid ; s’assoient au bord des terre-pleins du Champ-des-Morts de Péra et de Scutari, passent les journées entières au bain ou en visite chez leurs amies, assistent aux comédies de Kadi-Keuï, aux tours de force des jongleurs de Psammathia, causent sous les arcades des mosquées, s’arrêtent aux boutiques du Bezestein, parcourent le Bosphore en caïque ou en bateau à vapeur ; mais elles ont toujours avec elles soit deux ou trois compagnes, soit une négresse ou une vieille faisant office de duègne, et, si elles sont riches, un eunuque souvent jaloux pour son compte ; lorsqu’elles sont seules, ce qui est rare, un enfant leur sert de porte-respect, et, à défaut d’enfant, les mœurs publiques les surveillent et les protègent peut-être même plus qu’elles ne le voudraient. La liberté d’aller et de venir dont elles jouissent n’est qu’apparente.

Les étrangers ont pu croire à quelques bonnes fortunes, parce qu’ils ont confondu les Arméniennes avec les Turques, dont elles portent le costume, sauf les bottes jaunes, et imitent assez bien les allures pour tromper quelqu’un qui n’est pas du pays ; il suffit, pour cela, d’une vieille entremetteuse qui s’entende avec une jolie intrigante, d’un jeune homme crédule et d’un rendez-vous pris dans une maison isolée ; la vanité fait le reste, et l’aventure se dénoue toujours par l’extorsion de quelque somme plus ou moins forte, détail omis par le giaour dupé, qui voit dans toute coureuse au moins une favorite du pacha, s’il ne rêve même d’aller sur les brisées du Grand-Seigneur. Mais, en réalité, la vie