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LA RUPTURE DU JEÛNE.

Chaque caïque porte auprès de la proue une estampille indiquant l’échelle où il stationne : Top’Hané, Galata, le Kiosque-Vert, Yeni-Djami, Beschick-Tash, etc.

Les caïdjis sont de superbes gaillards arnautes ou armatoles, pour la plupart, d’une beauté mâle et d’une vigueur herculéenne. L’air et le soleil, qui ont bruni leur peau, leur donnent la couleur de belles statuettes de bronze dont ils ont déjà la forme. Leur costume consiste en large caleçons de toile d’une blancheur éblouissante, et en une chemise de gaze rayée à manches fendues, qui leur laisse les mouvements libres ; un fez rouge, dont la houppe bleue ou noire pend d’un demi-pied, serre leur tête aux tempes rasées ; une ceinture de laine rayée jaune et rouge fait plusieurs tours au-dessus de leurs reins et leur assure le buste.

Ils ne portent que la moustache, pour ne pas s’échauffer par un poil inutile ; leurs pieds et leurs jambes sont nus, et leur chemise ouverte découvre des pectoraux puissants cuivrés par un hâle robuste. À chaque coup de rame, leurs biceps grossissent et remontent comme des boulets sur leurs bras athlétiques. Les ablutions obligatoires maintiennent dans une propreté scrupuleuse ces beaux corps assainis par l’exercice, le grand air et une sobriété inconnue aux gens du Nord. Les caïdjis, malgré leur rude travail, ne mangent guère que du pain, des concombres, des rapes de maïs, des fruits, et ne boivent que de l’eau pure ou du café, et ceux qui professent l’islamisme rament du matin au soir sans avaler une gorgée d’eau ou de fumée pendant les trente jours de jeûne du Ramadan.

Ce n’est pas faire un calcul exagéré que d’évaluer à trois ou quatre mille le nombre des caïdjis qui desservent les différentes échelles de Constantinople et du Bosphore jusqu’à la hauteur de Thérapia ou de Buyuk-Déré. La disposition de la ville, séparée de ses faubourgs par la Corne-d’Or, le Bos-