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CONSTANTINOPLE.

phore et la mer de Marmara, nécessite de perpétuels trajets aquatiques ; il faut à tout moment prendre un caïque pour aller de Top’Hané à Seraï-Bournou, de Beschick-Tash à Scutari, de Psammathia à Kadi-Keuï, de Kassim-Pacha au Phanar, et d’un côté à l’autre de la Corne d’Or, quand on se trouve trop éloigné d’un des trois ponts de bateaux qui traversent le port.

Rien n’est plus amusant, lorsqu’on arrive à l’une des escales, que de voir les caïdjis accourir et se disputer votre personne, comme autrefois les conducteurs de coucous s’arrachaient les voyageurs, en s’injuriant les uns les autres avec une volubilité étourdissante, et en vous offrant leur barque au rabais. — Au tumulte se mêlent quelquefois les aboiements des chiens effrayés, sur lesquels on piétine dans la chaleur du débat. — Enfin, poussé, heurté, coudoyé, tiraillé, vous restez la proie d’un ou deux gaillards gigantesques qui vous traînent triomphalement vers leur barque à travers les groupes grommelants de leurs confrères désappointés.

Entrer dans un caïque sans le faire tourner la quille en l’air est une opération assez délicate. Un bon vieux Turc, à barbe blanche, à teint rissolé par le soleil, maintient la barque avec un bâton armé d’un clou, et on lui jette un para pour sa complaisance.

Ce n’est pas toujours une chose facile que de se dépêtrer de la flottille ameutée autour de chaque débarcadère, et il faut l’incomparable adresse des caïdjis pour y réussir sans abordage et sans accident. Pour prendre terre, chaque caïque se retourne de manière à faire toucher sa poupe au rivage, et cette évolution pourrait amener des chocs dangereux, si les caïdjis n’avaient pas, comme les gondoliers de Venise, des cris convenus pour s’avertir. Quand on débarque, on laisse le prix de la course au fond du bateau, sur le