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LA RUPTURE DU JEÛNE.

Bosphore encadraient à perte de vue un fleuve de paillettes incessamment fouettées par les rames des caïques.

Quelquefois un navire lointain et qu’on n’apercevait pas s’embrasait tout à coup d’une auréole pourprée et bleuâtre, puis s’évanouissait dans l’ombre comme un rêve. Ces surprises pyrotechniques produisaient l’effet le plus charmant.

Les bateaux à vapeur, étoiles de verres de couleur, allaient et venaient promenant des orchestres dont les fanfares s’éparpillaient joyeusement à la brise.

Par-dessus tout cela, le ciel, comme s’il eût voulu aussi se mettre de la fête, répandait prodiguement son écrin d’étoiles sur un champ de lapis-lazuli du bleu le plus sombre et le plus riche, dont l’embrasement de la terre parvenait à peine à rougir le bord.

Je restai une ou deux heures à bord du bateau autrichien, m’enivrant de ce spectacle sublime et sans rival au monde, et tâchant d’en graver à jamais dans ma mémoire les éblouissantes féeries doublées par le miroir magique du Bosphore. Que sont nos pauvres fêtes sur la place de la Concorde, où furent quelques douzaines de lampions, à côté de ce feu d’artifice de diamants, d’émeraudes, de saphirs et de rubis qui éclate et crépite sur trois ou quatre lieues de long, et qui, au lieu de s’éteindre dans l’eau, s’y rallume plus phosphorescent et plus vif ?

Quels lampadaires et quels ifs que des vaisseaux à trois mâts illuminés depuis les basses œuvres jusqu’aux pommes de girouettes, quelles lances à feu que des minarets de cent pieds de haut brûlant dans cet immense amphithéâtre que la nature semble avoir créé pour asseoir la capitale du monde, et où Fourier met par anticipation le trône de l’Omniarque du globe !

Çà et là des clartés commençaient à pâlir, des brèches s’établissaient dans les lignes de feu, la poudre, fatiguée, ne