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CONSTANTINOPLE.

Notre saïs, marchant la main appuyée sur la croupe de mon cheval, nous guidait, mon ami et moi, à travers cette foule et ce dédale, et nous eut bientôt amenés au second pont qui traverse la Corne-d’Or ; il nous fit regagner, à travers Kassim-Pacha, les pentes du petit Champs-des-Morts, et nous déposa à la porte de l’hôtel de France, sans paraître fatigué de cet énorme trajet.

Quant à moi, je m’assis sur mon divan, je m’accoudai à la fenêtre et je me livrai aux douceurs du kief, un peu étourdi par la fatigue et le tabac opiacé dont j’avais chargé le lulé de ma pipe, et le soir, après le souper, qui ne se fit pas attendre longtemps, je ne fus nullement tenté d’aller me promener selon mon habitude devant les cafés du petit Champ où se réunit la société pérote.

Le lendemain, j’étais un peu courbattu et je résolus d’aller prendre un bain turc, car rien ne délasse autant, et je me dirigeai vers les bains de Mahmoud, situés près du Bazar. Ce sont les plus beaux et les plus vastes de Constantinople.

La tradition des Thermes antiques, perdue chez nous, s’est conservée en Orient. — Le christianisme, en prêchant le mépris de la matière, a peu à peu fait tomber en désuétude les soins donnés au corps périssable comme sentant trop leur paganisme. Je ne sais plus quel moine espagnol, quelque temps après la conquête de Grenade, prêchait contre l’usage des bains maures et déclarait suspects de sensualisme et d’hérésie ceux qui n’y voudraient pas renoncer.

En Orient, où la propreté du corps est d’obligation religieuse, les bains ont gardé toutes les recherches grecques et romaines : ce sont de grands édifices d’apparence architecturale, avec coupole, dômes, colonnes, qui emploient le marbre, l’albâtre, les brèches de couleur dans leur construction, et sont desservis par une armée de baigneurs,