Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
LE BEÏRAM.

Ensuite s’avança un détachement des gardes du corps, dont l’uniforme bizarre et splendide répond à l’idée que l’on se fait en France du luxe oriental. Ces gardes, choisis parmi les plus beaux hommes, portent une tunique de velours nacarat passementée de brandebourgs d’or d’une richesse extrême, des pantalons blancs en soie de Brousse, et une espèce de toque côtelée assez semblable aux mortiers des présidents, surmontée d’un immense cimier en plumes de paon de deux ou trois pieds de haut, rappelant ces ailes d’oiseaux posées sur le casque de Fingal, dans les compositions ossianiques des peintres du temps de l’Empire. Pour défense, ils ont un sabre courbe attaché à une ceinture diaprée de broderies, et une grande hallebarde damasquinée et dorée, dont le fer offre des découpures féroces comme celles des vieilles armes asiatiques.

Ensuite se succédaient une demi-douzaine de chevaux superbes, arabes ou barbes, tenus en main et caparaçonnés de housses et de têtières magnifiques. Ces housses, brodées d’or, constellées de pierreries, étaient historiées du chiffre impérial, dont les complications et les entrelacements calligraphiques forment une arabesque d’une élégance extrême. Les ornements étaient si pressés, que le fond rouge ou bleu de l’étoffe disparaissait presque. Le luxe des selles remplace, chez les Orientaux, celui des voitures, bien que beaucoup de pachas commencent à faire venir des coupés de Vienne et de Paris.

Ces nobles bêtes semblaient avoir la conscience de leur beauté ; la lumière se jouait en moires soyeuses sur leurs croupes polies ; leurs crinières s’éparpillaient en mèches brillantes à chaque mouvement de leur tête ; des muscles puissants s’élargissaient à leurs jarrets d’acier ; ils avaient cet air doux et fier, ce regard presque humain, cette élasticité du mouvement, cette piaffe coquette, ce port plein d’a-