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CONSTANTINOPLE.

ristocratie des chevaux de pur sang, qui font concevoir les idolâtries et les passions des Orientaux pour ces superbes créatures dont le Koran vante les qualités et recommande le soin en plusieurs endroits, afin d’ajouter la sanction religieuse à ce goût naturel.

Ces chevaux précédaient le sultan, qui montait une admirable bête dont la housse étincelait de rubis, de topazes, de perles, d’émeraudes et autres pierres précieuses formant les fleurs d’un feuillage d’or.

Derrière le sultan marchaient le kislar-agassi et le capou-agassi, le chef des eunuques noirs et blancs ; puis un nain trapu, obèse, à figure féroce, vêtu en pacha, qui remplit auprès de son maître l’office des fous à la cour des rois du moyen âge. Ce nain, que Paul Véronèse eût placé un perroquet au poing, habillé d’un surcot mi-parti, ou jouant avec un lévrier dans un de ses repas, était hissé, sans doute par contraste, sur le dos d’un grand cheval que ses jambes cagneuses embrassaient à peine. Je crois qu’il est le seul de son espèce existant aujourd’hui en Europe : la charge de Caillette, de Triboulet et de l’Angeli ne s’est conservée qu’en Turquie.

Les eunuques ne portent plus ce haut bonnet blanc dont on les coiffe dans les opéras-comiques ; le fez et la redingote composent leur costume, mais ils n’en ont pas moins un aspect particulier qui les fait aisément reconnaître : le kislar-agassi est assez hideux avec sa noire figure glabre, peaussue et glacée de tons grisâtres ; mais le capou-agassi l’emporte en laideur, n’étant pas masqué par un teint de nègre. Sa face empâtée d’une graisse malsaine, sillonnée de petits plis et d’une lividité blafarde, où clignent deux yeux morts sous une paupière molle, sa lèvre, pendante et rechignée, lui donnent l’air d’une vieille femme de mauvaise humeur. Ce sont pourtant de puissants personnages que ces