Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
LE BEÏRAM.

deux monstres : les revenus de la Mecque et de Médine leur sont affectés ; ils sont immensément riches, et font la pluie et le beau temps dans le sérail, quoique leur empire soit bien diminué aujourd’hui. Ce sont eux qui gouvernent absolument ces essaims de houris que jamais ne profane le regard humain, et, comme vous le pensez, ils sont le centre de mille intrigues.

Un peloton de gardes du corps fermait la marche. Ce cortége éblouissant, quoique moins varié qu’il ne l’était autrefois, lorsque tout le luxe asiatique brillait sur les costumes fantasques des pachas, des capidgis-pachas, des bostandgis, des mabaindzés, des janissaires, avec leurs turbans, leurs kalpacks, leurs casques circassiens, leurs arquebuses à rouet, leurs masses d’armes, leurs arcs et leurs flèches, disparut par l’arcade du passage qui mène du sérail à Sainte-Sophie ; puis, au bout d’une heure environ, il revint et défila en sens inverse, mais dans le même ordre.

Pendant ce temps, nous étions allés nous placer, mes compagnons et moi, sur un puits recouvert de planches qui formait une espèce de tribune, dans une immense cour plantée de grands arbres, tout près du kiosque devant la porte duquel devait avoir lieu la cérémonie du baise-pied. — En face de nous se développait un grand bâtiment surmonté d’une multitude de colonnes peintes en jaune, à l’exception de la base et du chapiteau rechampis de blanc. — Ces colonnes étaient des cheminées, et ces vastes bâtisses des cuisines ; car chaque jour quinze cents bouches, suivant l’expression turque, « mangent le pain du Grand Seigneur. »

Nous avions grand’peine à nous maintenir sur notre perchoir, à l’assaut duquel montaient d’instant en instant de nouveaux curieux que nous repoussions à coups de coude ; mais, en définitive, nous restâmes maîtres de la place.