Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
CONSTANTINOPLE.

les factions des verts et des bleus ; son antiquité a pour fondement une antiquité plus profonde encore. Anthemius de Tralles et Isidore de Milet en tracèrent les plans, en dirigèrent la construction. Pour enrichir la nouvelle église, on dépouilla les vieux temples païens, et l’on fit supporter la coupole du Christ aux colonnes du temple de la Diane d’Éphèse, noires encore de la torche d’Erostrate, et aux piliers du temple du Soleil, à Palmyre, tout dorés des rayons de leur astre ; on prit aux ruines de Pergame deux urnes énormes de porphyre dont les eaux lustrales devinrent les eaux du baptême, puis celles des ablutions ; on tapissa les murs de mosaïques d’or et de pierres précieuses, et, lorsque tout fut fini, Justinien put s’écrier dans son ravissement : Gloire à Dieu, qui m’a jugé digne d’achever un si grand ouvrage ; ô Salomon ! je t’ai vaincu.

Quoique l’islamisme, ennemi des arts plastiques, l’ait dépouillée d’une grande partie de ses ornements, Sainte-Sophie est encore un magnifique temple. Les mosaïques à fond d’or, représentant des sujets bibliques, comme celles de Saint-Marc, ont disparu sous une couche de badigeon. On n’a conservé que les quatre gigantesques chérubins des pendantifs, dont les six ailes multicolores palpitent à travers le scintillement des cubes de cristal doré ; encore a-t-on caché les têtes qui forment le centre de ce tourbillon de plume sous une large rosace d’or, la reproduction du visage humain étant en horreur aux musulmans. Au fond du sanctuaire, sous la voûte du cul de four qui le termine, on aperçoit confusément les lignes d’une figure colossale que la couche de chaux n’a pu cacher tout à fait : c’est celle de la patrone de l’église, l’image de la Sagesse divine, ou plus exactement de la sainte Sagesse, Agia Sophia, et qui, sous ce voile à demi transparent, assiste impassible aux cérémonies d’un culte étranger.