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LE BOSPHORE.

Une heure sonnait quand ma barque aborda à Top’Hané. — J’allumai ma lanterne ; et, gravissant par les rues désertes en ayant soin de ne pas marcher sur les tribus de chiens assoupis qui poussaient de faibles gémissements à mon passage, je regagnai mon logis dans le Champ-des-Morts de Péra, éreinté, mais ravi.

Le lendemain, continuant mes promenades, je me rendis aux eaux douces d’Europe, au fond de la Corne-d’Or. Franchissant les trois ponts de bateaux, dont le dernier, achevé tout récemment, a été construit aux frais d’un riche Arménien, je longeai les cales de l’arsenal maritime, où sous des hangars s’ébauchent les carcasses de navires, semblables à des squelettes de cachalots et de baleines ; je passai entre Eyoub et Pim-Pacha, et j’entrai bientôt dans l’archipel de petites îles basses et plates qui divisent l’embouchure du Cydaris et du Barbysès, réunis un peu avant de se jeter à la mer. Les noms turcs substitués à ces harmonieuses appellations sont Sou-Kiat-Hana et Ali-Bey-Keuï.

Des hérons et des cigognes, le bec posé sur leur jabot, une patte repliée sous le ventre, vous regardent passer d’un air amical ; les goélands vous effleurent de l’aile, et le milan décrit des cercles au-dessus de votre tête. À mesure qu’on avance, la rumeur de Constantinople s’éteint, la solitude se fait, la campagne succède à la ville par transitions insensibles. Personne ne passe sur les élégants ponts chinois qui enjambent le Barbysès, qu’on prendrait pour une de ces rivières factices des jardins anglais.

Les eaux douces d’Europe sont plus spécialement fréquentées l’hiver. — Le sultan y possède un kiosque avec des eaux et des cascades artificielles côtoyées de pavillons d’un charmant goût turc. — Cette résidence a été bâtie par Mahmoud ; mais, comme elle n’est presque jamais habitée et qu’on ne la répare pas, l’abandon la dégrade, et elle tombe déjà pres-