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CONSTANTINOPLE.

qui soit, et s’assure par de belles œuvres l’immortalité relative dont l’homme peut disposer !

Une chapelle souterraine, assez négligée, renferme les sépultures de Villiers de l’Île-Adam, de la Valette et d’autres grands maîtres couchés dans leurs armures sur des cippes armoriées, soutenues par des lions, des oiseaux et des chimères ; les uns en bronze, les autres en marbre ou en quelque autre matière précieuse. Cette crypte n’a rien de mystérieux ni de funèbre. La lumière des pays chauds est trop vive pour se prêter aux effets de clair-obscur des cathédrales gothiques.

Avant de quitter l’église, n’oublions pas de mentionner un groupe de Saint Jean baptisant le Christ, du sculpteur maltais Gaffan, placé sur le maître-autel, plein de talent, quoique un peu maniéré, et un tableau d’une férocité superbe, de Michel-Ange de Carravage, ayant pour sujet la décollation du même saint. À travers la poussière de l’abandon et la fumée du temps, on démêle des morceaux d’un réalisme surprenant, des cambrures truculentes et un faire d’une énergie extraordinaire.

L’heure s’avance, et le bateau à vapeur n’attend pas les retardataires. Parcourons encore une fois la rue de Saint-Jean et de Sainte-Ursule la pittoresque, avec leurs paliers étagés, leurs balcons saillants, les boutiques qui les bordent, la foule qui monte et descend perpétuellement leurs escaliers, la Strada-Stretta, qui avait autrefois le privilége de servir de terrain aux duellistes de l’ordre, sans qu’on pût les inquiéter ; jetons un coup d’œil, du haut des remparts, sur cette campagne fauve, divisée par des murs de pierre, sans ombre et sans végétation, dévorée par un âpre soleil ; regardons la mer du haut de la piazza Régina, émaillée de tombeaux anglais ; traversons en canot la Marse, parcourons la grande rue de la Sangle, et remontons à bord