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MALTE.

avec le regret de ne pouvoir emporter une paire de ces jolis vases en pierre de Malte, que les habitants taillent au couteau de la façon la plus ingénieuse et la plus élégante.

Il est quatre heures et demie, et le bateau lève l’ancre à cinq heures. — Un divertissement tout à fait local nous est réservé comme bouquet de notre trop court séjour à Malte. De petites barques nous entourent chargées de gamins tout nus. Les Maltais nagent comme les canards au sortir de l’œuf, et sont excellents plongeurs. — On jetait du haut du bord une pièce d’argent à la mer ; l’eau est si limpide dans le port, qu’on la voyait descendre jusqu’à une vingtaine de pieds de profondeur. Les gamins guettaient la chute de la monnaie, plongeaient aussitôt après elle et la rattrapaient trois fois sur quatre, exercice non moins favorable à leur santé qu’à leur bourse. Vous m’excuserez de ne pas vous parler des catacombes, de la colline Bengemma, des restes du temple d’Hercule, de la grotte de Calypso, car les savants prétendent que Malte est l’Ogygie d’Homère ; je n’ai pas eu le temps de les voir, et ce n’est pas la peine de copier ce que d’autres en ont dit.

Demain, dans la matinée, nous apercevrons les rivages de Grèce. Je ne suis pas un classique forcené, tant s’en faut, cependant cette idée me trouble. On éprouve toujours quelque appréhension à voir se formuler dans la réalité une terre entrevue dès l’enfance à travers la brume des rêves poétiques.