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SYRA.

bord ; des canots allaient et venaient avec une animation joyeuse : l’eau, la terre, le ciel, tout ruisselait de lumière ; la vie éclatait de toutes parts. — Des barques se dirigeaient vers notre vaisseau à force de rames et faisaient une regatta dont nous étions le point de mire.

Bientôt le pont fut couvert d’une foule de gaillards au teint basané, au nez d’aigle, aux yeux flamboyants, aux moustaches féroces, qui nous offraient leurs services du ton dont on demande ailleurs la bourse ou la vie ; les uns portaient des calottes grecques (ils en avaient bien le droit), d’immenses pantalons faisant la jupe et sanglés par des ceintures de laine, et des vestes de drap bleu foncé ; les autres, la fustanelle, la veste blanche et le bonnet de coton, ou bien un petit chapeau de paille cerclé d’un cordon noir. L’un d’eux était superbement costumé et semblait poser pour l’aquarelle d’album ; il méritait l’épithète que les harangueurs, dans Homère, adressent aux auditeurs qu’ils veulent flatter : « Euknémidès Achaioi » (Grecs bien bottés) car il avait les plus belles knémides piquées, brodées, historiées et floconnées de houppes de soie rouge qu’il soit possible d’imaginer ; sa fustanelle, bien plissée, d’une propreté éblouissante, s’évasait en cloche ; une ceinture bien ajustée étranglait sa taille de guêpe ; son gilet, galonné, soutaché, enjolivé de boutons en filigrane, laissait passer les manches d’une fine chemise de toile, et sur le coin de son épaule était élégamment jetée une belle veste rouge, roide d’ornements et d’arabesques. Ce personnage si triomphant n’était autre qu’un drogman qui sert de guide aux voyageurs dans leur tournée de Grèce, et probablement il veut flatter ses pratiques par ce luxe de couleur locale, comme les belles filles de Procida et de Nisida, qui ne revêtent leurs costumes de velours et d’or que pour les touristes anglais.

En mettant pied à terre, la première chose qui frappa