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CONSTANTINOPLE.

mes yeux, ce fut une inscription en grec annonçant des bains européens et turcs. Cela fait un singulier effet de voir inscrits sur les murs les caractères d’une langue que l’on croyait morte et que l’on ne connaît guère que par le Jardin des racines grecques du père Lancelot. De mes huit ans de collége, il m’est resté juste assez de science pour lire couramment les enseignes et les noms des rues. Comme vous le voyez, je n’ai pas perdu tout à fait mon temps. Grâce à ces souvenirs classiques, je comprends que je suis dans la rue de Mercure (odos tou Hermou), qui mène à la place d’Othon. Au milieu de cette place s’élève un arc de triomphe de bois de charpente entrelacé de branches de laurier desséché, qui témoigne du passage récent du roi Othon, le monarque bavarois de la terre de Pélops.

Vivier, qui est descendu avec moi, déclare sentir le besoin de civiliser cette île sauvage et d’apprendre aux naturels la véritable manière de faire des bulles de savon remplies de fumée de tabac, perfectionnement qu’ils ne paraissent pas soupçonner, si l’on doit s’en rapporter à leur physionomie. Nous entrons dans un café, où Vivier demande avec un flegme imperturbable de l’eau, du savon, du papier et une pipe. Cette demande surprend un peu le cafetier, qui se dit en lui-même : « Ce voyageur est propre, il désire se laver les mains, » et apporte innocemment tout ce qui est nécessaire à la confection des bulles. À la première bulle qui s’échappe du tube, opalisée par la fumée blanche insufflée dans sa frêle enveloppe, la surprise arrête la tasse de café sur la lèvre des consommateurs. Un autre globe transparent et muni, comme un ballon, d’un parachute opaque, monte à son tour dans l’air et balance au soleil tous les reflets du prisme ; alors l’admiration n’a plus de bornes : un grand cercle se forme et suit avec intérêt les bulles voltigeantes. Quand l’enthousiasme est assez surexcité, Vivier, qui