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SYRA.

dissaient en cercle Délos, Mycone, Tine, Andro, revêtues par le couchant de tons roses et gorge de pigeon qui sembleraient fabuleux s’ils étaient peints.

Quand nous eûmes assez contemplé cet admirable spectacle, nous nous laissâmes rouler en avalanche jusqu’au bas de la ville, et nous allâmes achever notre soirée à une espèce de redoute située sur une pointe qui s’avance dans la mer, en fumant des cigarettes et en écoutant, devant une limonade, une bande de musiciens hongrois exécutant des morceaux d’opéras italiens. Quelques femmes, mises à la française, sauf la coiffure, se promenaient ensemble, côtoyées d’un mari ou d’un amant, sur le terre-plein entouré de tables et de chaises sur lesquelles s’étalait la fustanelle des Pallikares prenant leur café, ou faisant clapoter l’eau de leur narghilé.

En face de nous, la mer était étoilée des fanaux des navires ; derrière nous, les lumières de Syra semaient de paillettes d’or la robe violette de la montagne. C’était charmant. Nos barques nous attendaient sur la jetée, et quelques coups de rames nous ramenèrent à bord du Léonidas, harassés mais ravis. — Le lendemain nous devions appareiller pour Smyrne, et je devais, pour la première fois, mettre le pied sur la terre d’Asie, ce berceau du monde, ce sol heureux où le soleil se lève, et qu’il ne quitte qu’à regret pour aller éclairer l’Occident.