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CONSTANTINOPLE.

à travers des rues à pic pavées comme des lits de torrent. Je grimpe avec deux ou trois camarades entre des murs croulants, des masures effondrées, à travers les pierres qui roulent et les cochons qui se dérangent en glapissant et se sauvent en frottant leur dos bleuâtre à mes jambes. Par les portes entr’ouvertes, j’aperçois des mégères hagardes qui cuisent des mets inconnus à quelque feu brillant dans l’ombre ; les hommes, à physionomie de brigands de mélodrame, quittent leur narghilé et regardent passer notre petite caravane d’un air très-peu gracieux.

La pente devient si roide, que nous montons presqu’à quatre pattes, par des dédales obscurs, des passages voûtés, des escaliers en ruines. Les maisons se superposent les unes aux autres, de façon que le seuil de la supérieure soit au niveau de la terrasse de l’inférieure ; chaque masure a l’air, pour se hisser au haut de la montagne, de mettre le pied sur la tête de celle qu’elle précède dans ce chemin fait plutôt pour les chèvres que pour les hommes. Le mérite de l’ancienne Syra semble de n’être facilement accessible que pour les milans et les aigles. C’est un site charmant pour des nids d’oiseaux de proie, mais tout à fait invraisemblable pour des habitations humaines.

Haletants, ruisselants de sueur, nous arrivâmes enfin à l’étroite plate-forme sur laquelle s’élève l’église de Saint-Georges, plate-forme toute pavée de tombes, où reposent des morts aériens, et là nous sommes amplement dédommagés de notre fatigue par un magnifique panorama. Derrière nous se découpait la crête de la montagne sur laquelle est appliquée Syra ; à droite, en tournant la face vers la mer, se creusait en abîme un immense ravin déchiré, accidenté de la façon la plus sauvagement romantique ; à nos pieds s’étageaient les maisons blanches de la haute et basse Syra ; plus loin brillait la mer avec ses moires lumineuses, et s’arron-