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SMYRNE.

lieu où elle pût mettre au monde Apollon et Diane ; Apollon, en reconnaissance de ce qu’il y avait reçu le jour, la rendit immobile de flottante qu’elle était auparavant, et la fixa au milieu des Cyclades. Doit-on voir là une de ces éruptions volcaniques sous-marines produisant des îles, dont quelques unes périssent au bout de quelque temps, comme l’île Julia, qui rentra dans la mer d’où elle était sortie ? Faut-il prendre au pied de la lettre l’épithète de flottante, en admettant que Délos fut primitivement un banc d’algues, de goëmons, de fucus et de troncs d’arbres, promené sur les eaux, arrêté ensuite sur un bas-fond, puis desséché et transformé en terre habitable par le soleil ? Ou bien, croire qu’à cause de sa situation au milieu d’une pléiade d’îlots presque semblables, Délos dut être souvent manquée par les premiers navigateurs, dépourvus de moyens de direction certains, ce qui lui valut la réputation d’île vagabonde ?

Ce n’est pas la place de discuter ici cette question ex-professo ; je la soulève seulement, laissant à de plus doctes le soin de la résoudre, parce qu’elle me vint à l’esprit en passant près de l’endroit sacré où naquirent Apollon et Diane. Délos était, dans l’antiquité, l’objet d’une extrême vénération. On y voyait un autel d’Apollon, que le dieu avait élevé lui-même à l’âge de quatre ans, avec les cornes des chèvres tuées par Diane, sur le mont Cynthus, et qui passait pour une des merveilles du monde. Ce sol sacré semblait si respectable, que l’on n’y souffrait pas les chiens et qu’on emportait de l’île les malades en danger de mort, car il n’était pas permis d’inhumer personne dans cette terre divine, révérée même des barbares. Les Perses, qui ravagèrent les autres îles de la Grèce, abordèrent à Délos avec leur flotte de mille vaisseaux ; mais ils s’abstinrent de toute déprédation et de toute violence. Aujourd’hui Délos n’est qu’une terre aride, où Latone aurait de la peine à trouver l’ombre