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CONSTANTINOPLE.

tout. Une peinture blanche, parsemée de filets, de rosaces, de palmettes et autres arabesques d’un bleu d’azur égaye leurs façades et leur donne un air de porcelaine anglaise très-frais et très-propre. Entre les fenêtres sont quelquefois appliquées de petites maisons de plâtre percées de plusieurs trous pour inviter les hirondelles à venir faire leur nid, hospitalité touchante que l’homme offre à l’oiseau et que celui-ci accepte avec une confiance qui n’est jamais trompée en Orient, où les idées des brahmes sur le respect de la vie des animaux, ces humbles frères de l’homme, semblent être parvenues du fond de l’Inde moins lointaine.

C’est à ces idées, sans doute, qu’est due la quantité de chiens errants qui infestent la voie publique, où ils tolèrent à peine les passants obligés de leur céder le pas. On les voit par groupes de trois ou quatre : couchés en rond au milieu de la rue et se laissant plutôt fouler aux pieds que de se lever. Il faut les contourner ou les enjamber. Les vers d’Alfred de Musset, dans Namouna, sur des mendiants « qu’on prendrait pour des dieux » peuvent s’appliquer parfaitement, avec une légère variante, aux chiens de Smyrne et de Constantinople :

Ne les dérange pas, ils t’appelleraient homme ;
Ne les écrase pas, ils te laisseraient faire.

Tout en marchant, j’admirais à l’angle des rues une jolie fontaine avec son toit évasé à la turque, ses versets du Coran sculptés en relief, ses colonnettes et ses ornements d’un rococo oriental, ou quelque petit cimetière entouré de murs percés de fenêtres à grillages par où l’on pouvait voir les poules picorant entre les tombes, les chats dormant au soleil, sur les marbres funèbres, et le linge au blanchissage se balancer d’un cyprès à l’autre. En Orient, la vie ne se sépare pas soigneusement de la mort comme chez nous,