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CONSTANTINOPLE.

nombre de débris de sa splendeur première ; — je n’y vis, pour ma part, d’autres ruines antiques que trois ou quatre grosses colonnes romaines dépassant les frêles constructions modernes qui les entouraient. Ces colonnes frustes, restes d’un temple de Jupiter ou de la Fortune, je ne sais trop lequel, sont d’un bel effet et doivent avoir exercé la sagacité des érudits ; je n’ai fait que les apercevoir du haut d’un âne en passant, ce qui ne me permet pas d’émettre un avis raisonné.

Le rivage d’Asie est beaucoup moins aride que celui d’Europe, et je restai sur le pont tant que le jour me permit de distinguer les contours de la terre.

Le lendemain, quand l’aurore parut, nous avions dépassé Mételin, l’antique Lesbos, la patrie de Sapho, la Cythère de cet étrange amour dont l’homme était banni, et qui compte encore aujourd’hui plus d’une prêtresse. Une terre assez plate se déployait devant nous, à notre droite : c’était la Troade :

Campos ubi Troja fuit,
le sol même de la poésie épique, le théâtre des immortelles épopées, le lieu sacré deux fois par le génie grec et par le génie latin, par Homère et par Virgile. C’est une impression étrange de se trouver ainsi en plein poëme et en pleine mythologie. Comme Enée racontant son histoire à Didon du haut de son lit élevé, je puis dire du haut du tillac et avec plus de vérité encore :
Est in conspectu Tenedos
car voilà l’île dont se sont élancés les serpents qui ont noué dans leurs replis l’infortuné Laocoon et ses fils, et fourni le sujet d’un des chefs-d’œuvre de la statuaire, Ténédos, sur