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LA TROADE, LES DARDANELLES.

probablement. Du temps d’Alexandre, on connaissait encore l’emplacement de la tombe du héros de l’Iliade, car le conquérant de l’Asie s’y arrêta en disant qu’Achille était bien heureux d’avoir eu un ami tel que Patrocle et un poëte tel qu’Homère. Lui n’eut qu’Éphestion et Quinte-Curce, el pourtant ses exploits dépassèrent ceux du fils de Pélée ; et cette fois l’histoire l’emporta sur la mythologie.

Pendant que je discours sur la géographie homérique et les héros de l’Iliade, pédanterie bien innocente et bien pardonnable en face de Troie, le Léonidas continue sa marche, un peu contrariée par un vent du nord soufflant de la mer Noire, et s’avance vers le détroit des Dardanelles, défendu par deux châteaux forts, l’un sur la rive d’Asie, l’autre sur la rive d’Europe. Leurs feux croisés barrent l’entrée du détroit et en rendent l’accès sinon impossible, du moins très-difficile à toute flotte ennemie. Pour en finir avec la Troade, disons qu’au delà d’Yeni-Scheyr se dégorge dans le Bosphore un cours d’eau qu’on prétend être le Simoïs, et d’autres disent le Granique.

L’Hellespont, ou mer d’Hellé, est très-étroit ; on croirait plutôt naviguer sur un grand fleuve à son embouchure que sur une mer véritable. Sa largeur ne dépasse pas celle de la Tamise vers Gravesend. Comme le vent était favorable pour débusquer dans la mer Egée, nous traversions une vraie foule de navires qui venaient à nous toutes voiles dehors, et de loin ressemblaient, avec leurs bonnettes basses, à des silhouettes de femmes portant un seau de chaque main et se dandinant dans leur marche. Cette comparaison, si naturelle, qu’elle vint à la fois à plusieurs personnes sur le pont, me paraît absurde maintenant que je l’écris, et le paraîtra sans doute davantage à ceux qui me liront, et cependant elle est très-juste.

Le rivage d’Europe, que nous serrions de plus près, con-