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CONSTANTINOPLE.

capitaine me tire par la manche pour me montrer sur le rivage troyen un tertre arrondi, une colline conique dont la forme régulière atteste la main de l’homme. Ce tumulus recouvre Antiloque, fils de Nestor et d’Eurydice, le premier Grec qui tua un Troyen à l’ouverture du siége et qui périt lui-même de la main d’Hector, en parant un coup que Memnon portait à son père. Antiloque repose-t-il véritablement sous cette butte ? diront sans doute les critiques épilogueurs. — La tradition l’affirme, et pourquoi la tradition mentirait-elle.

En avançant, l’on découvre encore deux tumuli, non loin d’un petit village appelé Yeni-Scheyr, reconnaissable à une rangée de neuf moulins à vent, pareils à ceux de Syra. Le premier en venant de Smyrne, et le plus rapproché du bord de la mer, est le tombeau de Patrocle, l’ami de cœur, le frère d’armes, le compagnon inséparable d’Achille. Là fut dressé ce bûcher gigantesque arrosé du sang d’innombrables victimes, où le héros, ivre de douleur, jeta quatre chevaux de prix, deux chiens de race et douze jeunes Troyens immolés de sa main aux mânes de son ami, et autour duquel l’armée en deuil célébra des jeux funèbres qui durèrent plusieurs jours. Le second, plus reculé dans l’intérieur des terres, est le tombeau d’Achille lui-même. Du moins, tel est le nom qu’on lui donne. D’après la tradition homérique, les cendres d’Achille furent mêlées à celles de Patrocle dans une urne d’or, et, par conséquent, les deux grands amis, inséparables dans la vie, le furent encore dans la mort. Les dieux s’émurent du trépas du héros ; Thétis sortit de la mer avec un chœur plaintif de néréides ; les neuf muses pleurèrent et entonnèrent des chants de douleur autour du lit funèbre, et les plus braves de l’armée exécutèrent des jeux sanglants en l’honneur du héros. Ce tumulus doit être celui de quelque autre chef grec ou troyen, d’Hector,