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UN FEUILLETON A FAIRE.

éclate comme une bombe lumineuse d’un feu d’artifice de Ruggier ; cela est étincelant, chatoyant, phosphorescent, mais n’apprend rien, sinon que messieurs du feuilleton sont des personnes d’infiniment d’esprit, vérité qui n’a jamais été révoquée en doute et qui se passerait fort bien de cette preuve.

La manière de juger d’aujourd’hui a beaucoup de rapport avec celle des conseils de guerre : absous ou fusillé impitoyablement, absurde ou sublime, il n’y a pas de milieu ; ces deux mots péremptoires suffisent aux besoins de la critique.

Cela est en vérité un peu bien leste et ressemble trop à la justice turque ; on admet ou l’on rejette en masse, on a des haines et des engouements aveugles. On ne raisonne pas, on n’analyse pas, on s’en rapporte à une impression brute et générale. Plus de ces charmantes causeries de foyer où s’agitaient entre les auteurs et les critiques mille petites questions d’art ; maintenant on s’y promène comme dans un manège et l’on y parle de la Chambre et du cours de la rente.

Autrefois, ce n’était pas ainsi ; on s’intéressait ci une actrice dès son début ; on la suivait dans ses progrès, on s’intéressait à elle comme à une fleur que l’on voit grandir ; on l’applaudissait avec discrétion et mesure, de manière à lui faire sentir où elle avait bien fait, où elle avait failli ; on lui disait : Vous avez atteint au naturel du débit, mais vos poses ont