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FUSAINS ET EAUX-FORTES

une espèce de râle strident, un grognement de mauvaise humeur d’un effet singulier ; on dirait d’un monstre marin enrhumé du cerveau qui pousse l’eau par des évents obstrués, ou le renâclement d’un serpent de mer qui aurait avalé un vaisseau de travers. Quoiqu’il soit infatigable, il a l’air de s’efforcer, de haleter et de se donner beaucoup de peine ; cette vie inanimée a quelque chose de bizarre et d’effrayant ; c’est trop vivant pour une marmite, et trop mort pour un cheval. Bizarre création, qu’un animal de tôle et de fer, à qui le feu tient lieu d’âme et la vapeur de souffle. On casemate les voyageurs dans leurs voitures respectives, et, après deux ou trois fanfares de trompettes, on lâche la bride à la marmite, qui part au pas de course et prend bientôt le galop.

On s’enfonce d’abord sous une voûte obscure, où la fiente d’étincelles que laisse tomber en courant le cheval de vapeur jette par moment de rougeâtres clartés. Cette voûte est le passage le plus anacréontique du chemin de fer, que l’on n’aurait pas cru capable d’immoralité ; la voûte est son boudoir. Dans l’intérêt des mœurs, on devrait bien éclairer avec des becs de gaz ce souterrain attentatoire à la décence publique et inquiétant pour la pudeur.

Vous voyez bientôt la lumière du ciel et le soleil, et vous filez assez rapidement au fond d’une tranchée dont les rebords sont garnis de grillages et de